PERRAULT, JACQUES-NICOLAS (à partir de 1785 au moins, il signait Perrault l’aîné), marchand, officier de milice, juge de paix, seigneur et homme politique, né le 6 août 1750 à Québec, fils de Jacques Perrault*, dit Perrault l’aîné, et de Charlotte Boucher de Boucherville ; décédé le 7 août 1812 à Rivière-Ouelle, Bas-Canada.
Fils d’un négociant instruit et prospère, et petit-fils du coseigneur Pierre Boucher* de Boucherville, Jacques-Nicolas Perrault fait probablement des études avant de s’occuper de commerce avec son père. Après la mort de ce dernier en 1775, Perrault ne reçoit pas un legs très important par suite de la dispersion de la fortune paternelle entre les nombreux héritiers, et il poursuit son activité commerciale. Le 23 novembre 1779, il épouse, à l’Hôpital Général de Québec, Marie-Anne Amiot, fille du riche négociant décédé Jean-Baptiste Amiot*. En mai de l’année suivante, les époux retirent 3 000# de la vente de la moitié d’une propriété, située sur la place du Marché (place Notre-Dame) dans la basse ville et provenant de la succession d’Amiot. Le 20 avril 1782, l’épouse de Perrault est inhumée dans la cathédrale de Québec en présence de l’évêque, Mgr Briand*.
Durant la décennie suivante, Perrault semble se consacrer à ses affaires. Partageant les vues de la communauté marchande à l’égard de l’administration coloniale, il occupe à partir de 1784 le poste de secrétaire du comité canadien de Québec, l’un des deux comités formés alors par les marchands de cette ville. Ces comités, tout comme leurs pendants montréalais créés peu après, poursuivent comme objectifs, notamment, la révocation de l’Acte de Québec, l’obtention d’une chambre d’assemblée et l’instauration des lois commerciales anglaises. Ils sont dissous en décembre 1791 à la suite de la promulgation de l’Acte constitutionnel. Sur le plan social, Perrault est plus conservateur ; en 1790, il se range du côté de l’évêque de Québec, Mgr Hubert*, qui s’oppose au projet d’une université où catholiques et protestants seraient admis et à la suppression de certaines fêtes chômées, deux points défendus par le coadjuteur, Mgr Charles-François Bailly* de Messein. En juin de la même année, son oncle Guillaume-Michel Perrault lui lègue la seigneurie de La Bouteillerie, appelée aussi Rivière-Ouelle, dont l’usufruit appartiendra toutefois à sa mère. En 1791, le nouveau seigneur se prononce en faveur du maintien de la tenure seigneuriale [V. Thomas-Laurent Bédard*].
Le décès de sa mère en 1792 permet à Perrault d’entrer en possession complète de la seigneurie et marque un tournant décisif dans sa carrière. Veuf, ayant un fils mineur, Jacques, seul enfant vivant issu de son mariage, Perrault habite alors rue du Sault-au-Matelot à Québec et tient toujours son commerce de marchandises. Il possède des biens meubles et divers effets évalués à 4 347# 12s. Ses créances se chiffrent à 1 813# 4s., dont près des trois cinquièmes sont dus par Lester and Morrogh et James Ton, tandis que ses dettes totalisent 21 601# 13s. Il occupe le grade de capitaine dans la milice de la ville de Québec depuis 1788 au moins et détient une commission de juge de paix du district de Québec depuis au moins un an. En décembre 1792, la Gazette de Québec annonce la vente par licitation de la « Grande et Belle Maison de feue Madame Perrault dans la Basse Ville », puis le 10 janvier. 1793, à Rivière-Ouelle, Perrault épouse Thérèse-Esther Hausman, dit Ménager, veuve de Pierre Florence, riche marchand de l’endroit.
Perrault s’établit alors à Rivière-Ouelle, devenant le premier seigneur à résider en permanence dans la seigneurie depuis 90 ans. En effet, après le décès de Jean-Baptiste-François Deschamps* de La Bouteillerie en 1703, aucun des deux héritiers successifs de la seigneurie, Henri-Louis Deschamps* de Boishébert et son fils Charles Deschamps* de Boishébert et de Raffetot, n’y a habité, pas plus que l’oncle de Perrault qui l’avait achetée en 1774. Perrault s’intéresse à la mise en valeur de sa seigneurie : il acquiert un terrain sur lequel se trouvent une scierie, un moulin à orge et une forge, puis fait construire un quai, réparer les moulins et exploiter son érablière. Cependant, il ne tire que de modestes revenus de la seigneurie ; les livres de comptes démontrent que seule la vente du blé et des produits de la pêche au marsouin permet de vivoter. C’est donc plutôt grâce à la dot de son épouse que Perrault peut aménager un manoir seigneurial, qui n’est d’ailleurs rien d’autre que l’ancienne résidence restaurée des Florence, et s’assurer les services constants d’un domestique et d’une servante.
Bien que seigneur d’humble condition, Perrault jouit d’un grand prestige dans son milieu. Il acquiert une réputation d’homme cultivé. Amateur de belle littérature, il possède une bibliothèque bien remplie d’environ 300 volumes : traités de droit, livres d’histoire, œuvres littéraires de toute sorte, même celles de Voltaire qui, à cette époque, est à l’index. À compter de 1796 au moins, il sert dans la milice locale, d’abord comme lieutenant-colonel puis, après 1801, comme colonel. Il continue à exercer les fonctions de juge de paix du district de Québec. Perrault gagne aussi la sympathie de ses concitoyens en se mêlant aux activités paroissiales, tel l’aménagement du couvent en 1809. De 1804 à 1808, il représente la circonscription de Cornwallis à la chambre d’Assemblée du Bas-Canada. Il appuie le parti canadien à 11 reprises sur 15, en votant notamment pour le projet de loi sur le financement de la prison par des droits sur les importations et pour le projet de loi sur l’inéligibilité des juges à siéger à l’Assemblée [V. sir James Henry Craig ; Pierre-Amable De Bonne]. Malgré cet appui, Perrault n’est pas antibritannique ; ainsi, en 1807, en tant que colonel, il passe en revue le bataillon de milice de Kamouraska et, dans un discours animé, il rappelle la nécessité d’une bonne défense en cas d’attaque, puis souligne la loyauté et les devoirs des Canadiens envers leur roi et leur pays. En janvier 1812, dans le contexte de la politique pratiquée par le gouverneur Prevost visant à attirer des Canadiens modérés vers l’administration coloniale, il est nommé conseiller législatif.
Cependant Perrault ne peut jouir de ce privilège que fort peu de temps. En effet, le 7 août suivant, après quelques jours de maladie seulement, il est trouvé mort dans sa baignoire. Trois jours plus tard, il est inhumé « avec les honneurs dus à son rang » dans la crypte de l’église paroissiale de Rivière-Ouelle par Mgr Bernard-Claude Panet*. La Gazette de Québec rapporte que « le concours nombreux des personnes de distinction et des habitants, tant de cette paroisse que des paroisses circonvoisines, qui ont assisté à ses funérailles, est un témoignage de l’estime dont il jouissait et des regrets qu’il emporte avec lui ». À sa mort, ses dettes totalisent £994 alors que ses créances atteignent £1 206. Son fils s’étant noyé en 1797 au saut de la rivière Chaudière, près de Québec, la seigneurie passe alors aux frères de Perrault : Pierre, interdit pour aliénation mentale, Michel, instituteur, et Jean-Olivier*, conseiller exécutif. Mais tous trois s’en désintéressent et, à partir de 1813, vendent leur part à Pierre Casgrain*. L’épouse de Perrault reçoit une rente viagère de 225# en dédommagement.
Après avoir mené une carrière commerciale pendant environ 20 ans, Jacques-Nicolas Perrault vécut, dans une certaine mesure, à la façon de cette race de seigneurs aristocrates qui préféraient les honneurs aux affaires. Après lui, les seigneurs de Rivière-Ouelle appartiendront plutôt à la race des seigneurs bourgeois.
Pierre Matteau